«Identité frontalière»

«C’est par ce terme que je définis habituellement ma propre identité. Je la dis frontalière, ancrée, non pas dans un lieu de rupture, mais, au contraire, dans un espace d’accolement permanent. La frontière, telle que je la définis et l’habite, est l’endroit où les mondes se touchent, inlassablement. C’est le lieu de l’oscillation constante : d’un espace à l’autre, d’une sensibilité à l’autre, d’une vision du monde à l’autre. C’est là où les langues se mêlent, pas forcément de manière tonitruante, s’imprégnant naturellement les unes des autres, pour produire, sur la page blanche, la représentation d’un univers composite, hybride. La frontière évoque la relation. Elle dit que les peuples se sont rencontrés, quelquefois dans la violence, la haine, le mépris, et qu’en dépit de cela, ils ont enfanté du sens. Ma multi appartenance est porteuse de sens. Elle rappelle, à ceux qui croient en la fixité des choses, des identités notamment, que non seulement la plante ne se réduit pas à ses racines, mais que ces dernières peuvent être rempotées, s’épanouir dans un nouveau sol. Une plante peut également croiser ses racines avec celles d’une autre, et engendrer un nouvel être vivant. Le monde auquel nous appartenons est d’abord celui que nous portons en nous.»

Léonora Miano, «HABITER LA FRONTIÈRE, Paysages francophones - Journée internationale de la francophonie, Université de Copenhague (Danemark)» conférence de 2009 recueillie dans HABITER LA FRONTIÈRE, L’Arche, 2012, p.25

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«Selon moi, l’observation, l’expérience et ce que j’appellerai l’alignement avec les connexions des racines mycorhiziennes, est une façon d’apprécier les enchevêtrements de la vie sur Terre.»

Anna L. Tsing (anthropologue)

 
 

© Célia Boutilier, Mare Longue #1, dimensions variables, Île de la Réunion, 2023

© Célia Boutilier, Mare Longue #2, dimensions variables, Île de la Réunion, 2023

© Célia Boutilier, Tout est Massane #1, dimensions variables, Île de la Réunion, 2023

© Célia Boutilier, Tout est Massane #2, dimensions variables, Île de la Réunion, 2023

 

Détails de fabrication

© Célia Boutilier, a.0

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© Célia Boutilier, b.0

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© Célia Boutilier, c.0

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© Célia Boutilier, Image de nature #2, parc national de Zion, USA, 2022. Assemblage photographique en miroir, axe vertical, format 70 x 93,20 cm, dimensions variables

© Célia Boutilier, Image de nature #3, parc national de Zion, USA, 2022. Assemblage photographique en miroir, axe vertical, format 70 x 93,2 cm, dimensions variables

 

HABITER LA FRONTIÈRE / SYMBIOSE N°3

«Habiter la frontière / symbiose n°3» se compose d’assemblages de photographies réalisées lors d’une mission scientifique dans la forêt la plus ancienne de l’île de la Réunion (dite forêt tropicale primaire) : la forêt de la Mare Longue. J’ai bénéficié de la gracieuse invitation du biologiste Marc-André Selosse du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, pour accompagner en mission l’équipe de l’écologue Florent Martos. Les photographies sélectionnées prennent donc pour sujet différentes symbioses, particulièrement celles des orchidées dites épiphytes, c’est-à-dire qui poussent sur un support aérien (sans nul besoin d’être implantées dans la terre). Ces plantes se trouvent spécifiquement à la cime des branches, dans la canopée de la forêt indigène de la Mare Longue.

«Habiter la frontière / Symbiose n°3» est une traduction esthétique des connaissances scientifiques que les chercheur.euse.s m’ont transmis depuis septembre 2021 sur les symbioses. Ce projet revendique l’importance du lien, des relations interdisciplinaires et interspécifiques, énoncée par l’écrivaine Léonora Miano :

«espace d’accolement permanent» c’est «l’endroit où les mondes se touchent, inlassablement. C’est le lieu de l’oscillation constante : d’un espace à l’autre, d’une sensibilité à l’autre, d’une vision du monde à l’autre. C’est là où les langues se mêlent (...) s’imprégnant naturellement les unes des autres, pour produire, sur la page blanche, la représentation d’un univers composite, hybride.

La frontière évoque la relation. Elle dit que les peuples se sont rencontrés, (...) [et qu’] ils ont enfanté du sens.»

Pour traduire ces réflexions, les deux “façades” intitulée « Mare Longue #1 et #2 » se composent de différents fragments photographiques dupliqués et reliés ensemble par collage, malgré leurs différences de textures, d’échelles, de nature etc. afin de (re) constituer une nature multiple, hybride, aux formes qui se séparent ou s’entrelacent dans une alliance des contraires. L’esthétique se veut organique, vivante, elle convoque à la fois l’art nouveau et la réalité virtuelle, elle est le lieu où la photographie naturaliste côtoie l’inventivité picturale.

Pour la troisième intitulé « Tout est Massane », on retrouve les photographies de “Mare Longue” avec de nouveaux assemblages. Un amas de trois roches superposées, photographié lors de ma résidence à la Réserve Nationale de la forêt de la Massane (une des plus vieilles forêts de hêtres en France métropolitaine et en Europe, inscrite au patrimoine de l’UNESCO depuis juillet 2021) fut détouré de son contexte et positionné de part et d’autre de la porte tel un gardien/dolmen. Il fait écho aux motifs de fond, propices aux projections psychiques hallucinatoires (totems, gardiens végétals etc.).

 

2023

HABITER LA FRONTIÈRE / SYMBIOSE N°3

Assemblages de différentes photographies réalisées à l’Île de la Réunion, dimensions variables.